Les funérailles d’une reine de France au temps de François Ier
Épitaphe de Claude de France et de sa fille Charlotte
par Audrey Pelée de Saint-Maurice
« Si je pensais la racheter pour ma vie, je la lui baillerai de bon cœur, et j’eusse jamais pensé que le lien du mariage conjoint de Dieu, fut si dur et difficile à rompre »[1].
Voici en quels termes François Ier parle à sa mère, Louise de Savoie, de Claude de France, en apprenant la mort de la reine. Fille et épouse de rois de France, elle décède au château de Blois le 26 juillet 1524 à l’âge de 24 ans d’une syphilis que lui aurait transmis son mari François Ier selon certains auteurs[2]. Affaiblie par une tuberculose osseuse, il est aussi fort probable qu’elle se soit éteinte d’épuisement après avoir donné la vie à sept enfants en dix ans de mariage[3]. Reine esseulée tout au long de sa vie, c’est entourée de ses serviteurs qu’elle rend son dernier soupir. François Ier est en route pour la Provence afin de faire face au Connétable de Bourbon et à l’armée impériale. Louise de Savoie et Marguerite d’Alençon, mère et sœur du roi, sont à Bourges où elles l’ont accompagné.
Claude de France naît à Romorantin le 13 octobre 1499 dans une des deux résidences qui appartient à Louise de Savoie. Fille aînée d’Anne de Bretagne et de Louis XII, héritière du duché de Bretagne, elle est malgré elle au cœur d’une spirale diplomatique. C’est contre la volonté d’Anne de Bretagne, que Louis XII fiance sa fille à François d’Angoulême à Tours le 22 mai 1506. Si l’enfance de Claude semble se passer dans l’insouciance et la joie d’accompagner son père à la chasse, très vite les affres de la vie surgissent faisant le vide autour d’elle. Alors qu’Anne de Bretagne est décédée à Blois en janvier 1514, Claude épouse François en mai 1514. Louis XII expire à son tour en janvier 1515, laissant Claude et sa sœur Renée à leur destin. Délaissée par son époux et soumise à Louise de Savoie, la reine de France apparaît bien seule tout au long de ce règne comme au jour de sa mort. Cependant malgré l’isolement et la solitude, c’est l’image d’une reine aimée par son peuple que laisse Claude de France. Avocat au Parlement de Paris, Nicolas Versoris écrit au paragraphe 176 de son Livre de Raison : « Le mardi XXVIème jour dud[it] moys, mourut ma dame Claude, royne de France, femme de bonne et vertueuse vie, plaincte et bien exstimée de tout le peuple »[4].
Cet amour du peuple pour sa défunte souveraine est aussi visible sur un placard représentant les funérailles de Claude de France et de sa fille Charlotte, consultable à la Bibliothèque Abbé-Grégoire de Blois sous la cote Ms.245. L’une des strophes de ce document évoque les trépassées:
« L’un estoit ornement/ et lautre esperance
Du monde et mainctenant soubz la divine essence
Sont estoilles luysans devant Dieu heritees
Es sainctz sieges du ciel quelles ont meritees ».
Âgée de huit ans, Charlotte, fille aînée du couple royal, succombe après plusieurs jours de fièvre le 8 septembre 1524, soit quelques semaines après sa mère.
On peut apercevoir sur ce placard Claude et Charlotte allongées sous un lit de parement surmonté d’un dais, les mains jointes. Reflet de son « état royal », la reine revêt sa couronne et, de part et d’autre de son corps, sont disposés une main de justice et un sceptre. Elle semble être revêtue, tout comme Anne de Bretagne à son décès, d’une robe avec un surcot d’hermine[5], rappelant son statut de duchesse de Bretagne. À leurs pieds, se trouve un petit autel où viennent se succéder les religieux pour dire des messes. Sur le côté du lit deux blasons : l’un étant celui de la reine Claude, «parti d’azur aux trois fleurs de lys d’or et écartelé au un et quatre d’azur aux trois fleurs de lys d’or et au deux et trois d’hermine »; l’autre, celui de la petite Charlotte.
Suivant les conventions de l’époque, après l’embaumement, le corps est exposé durant quelques jours pour permettre au public de constater la mort de la reine et de manifester sa tristesse. Il est évident que, décédées à plusieurs semaines d’intervalle, Claude de France et sa fille Charlotte n’ont pas été allongées côte à côte. Cependant, il est possible que leurs effigies de cire se soient retrouvées dans cette situation. Peut-être qu’à la mort de Charlotte une effigie de la reine fut conçue pour l’occasion. L’effigie est un élément central des funérailles : « Le « double de cire » permet de présenter le défunt dans son apparat royal, quel que soit l’intervalle séparant la mort de l’enterrement »[6].
En effet, bien que Claude de France soit décédée le 26 juillet 1524 et enterrée à Blois, ses obsèques solennelles n’ont lieu à la basilique Saint-Denis qu’en 1526. Rappelons que lorsque la reine décède, François Ier est parti pour une guerre lors de laquelle il est fait prisonnier à la bataille de Pavie en 1525. Claude est donc enterrée à la chapelle Saint-Calais du château de Blois en 1524. Ce n’est qu’après son retour de captivité en mars 1526 que le roi ordonne le transfert en grande pompe du corps de la reine de Blois à Saint-Denis[7]. Nous pouvons suivre à l’aide d’un registre des dépenses ordinaires des suivantes de la reine Claude[8], l’itinéraire emprunté par le convoi funèbre : parti de Blois le vendredi 12 octobre 1526, il arrive le mercredi 6 novembre 1526 à la basilique Saint-Denis où les obsèques ont lieu le lendemain. Il aura donc fallu moins d’un mois au cortège pour rallier sa destination. Le corps de la reine placé dans son cercueil n’étant plus présentable à la population, c’est donc par le biais de l’effigie que l’hommage peut être rendu.
Arrivé en la basilique Saint-Denis, le convoi funèbre ne se disperse pas immédiatement. La mise en terre est l’occasion de «tourner la page» définitivement. Ce n’est qu’au moment de descendre le cercueil dans le caveau royal que les maîtres d’hôtel de la reine rompent leurs bâtons et les jettent dans la fosse, signifiant ainsi qu’avec l’ensevelissement de Claude de France leur travail est terminé et qu’ils redeviennent des serviteurs sans maîtresse. Après la cérémonie liturgique, un dîner aux frais de la défunte est offert. Ces frais sont signifiés à la suite des frais du convoi funèbre. Ce dîner pouvait être offert aux seuls religieux ou à quelques invités, mais le plus souvent c’est toute l’assemblée qui se réunissait pour rendre un dernier hommage au défunt.
Contrairement à sa mère Anne de Bretagne dont les funérailles sont connues grâce à de nombreuses sources, celles de Claude de France ne sont décrites que dans de rares documents. Morte comme elle a vécu, en toute discrétion, Claude de France reste un mystère sur de nombreux aspects de sa vie.
Audrey Pelée de Saint-Maurice réalise une thèse de doctorat en histoire au Centre d’études supérieures de la Renaissance, sur les femmes de pouvoir en Val de Loire de 1422 à 1524, sous la co-direction de MM. les Professeurs Benoist PIERRE et François-Olivier TOUATI.
Bibliographie
- Marie-France Castelain, Au pays de Claude de France. Sous le signe du Cygne, Romorantin, Société d’Art d’Histoire et d’Archéologie de Sologne, 1986.
- Murielle Gaude-Ferragu, D’or et de cendres. La mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen Âge, Paris, Septentrion, 2005.
- Pierre-Gilles Girault, Les funérailles d’Anne de Bretagne. L ‘Hermine regrettée, Montreuil, éd. Gourcuff Gradenigo, 2014.
Références et crédits
Source
– Epitaphe de Charlotte de France et de sa mère Claude de France (1524), Bibliothèque Abbé-Grégoire (Blois), Ms 245. Crédits photographiques : Bibliothèque Abbé-Grégoire / Centre d’études supérieures de la Renaissance – Intelligence des Patrimoines.
– Catalogue en ligne de la bib. Abbé-Grégoire de Blois
Slider
– Claude de France, ses filles, sa soeur Renée et Eléonore de Habsbourg, artiste inconnu, dans Les livres d’heures de Catherine de Médicis, vers 1550, Bibliothèque nationale de France, NAL 00082.
URL : http://visualiseur.bnf.fr/Visualiseur?Destination=Daguerre&O=7800242
– Portrait de Charlotte de Valois, Jean Clouet, vers 1522, Minneapolis Institute of Arts, legs de John R. Van Derlip en mémoire d’Ethel Morrison Van Derlip.
URL : Commons Wikimedia
Notes
[1] Marie-France Castelain, Au pays de Claude de France. Sous le signe du Cygne, Romorantin, Société d’Art d’Histoire et d’Archéologie de Sologne, 1986
[2] Francis Hackett, François Ier, Payot, 1984, p. 510.
[3] Si l’on prend comme date de référence le mariage royal à St Germain en Laye le 18 mai 1514 et non les fiançailles de 1506.
[4] Extrait des Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Isle-de-France, t.XII, 1885, et dans Marie-France Castelain, Au pays de Claude de France. Sous le signe du Cygne, Romorantin, Société d’Art d’Histoire et d’Archéologie de Sologne, 1986.
[5] Pierre-Gilles Girault, Les funérailles d’Anne de Bretagne. L’Hermine regrettée, Montreuil, éd.Gourcuff Gradenigo, 2014.
[6] Murielle Gaude-Ferragu, D’or et de cendres. La mort et les funérailles des princes dans le royaume de France au bas Moyen Âge, Paris, Septentrion, 2005.
[7] Cette commission donnée à l’auditeur de la Chambre des comptes est conservée aux Archives nationales (Paris) sous la cote, K. 83, n° 16.
[8] Archives nationales (Paris), K. 83, n° 18.