L’entrée solennelle de François Ier à Tours en 1516
Des lions animés à la gloire du roi
par David Rivaud
Ces textes proviennent des riches fonds financiers et fiscaux de la commune de Tours (série CC) composés en particuliers d’une collection de comptes des deniers communs, presque ininterrompue de 1458 à 1562. Ils sont extraits de deux comptes particuliers, réalisés par Jean Bernard, ancien maire, et Emery Lopin, commis de la ville, conservés dans les Pièces complémentaires à l’appui des comptes (non cotées à ce jour). Cette documentation montre le détail des dépenses effectuées pour l’accueil et le décor mis en place par la ville lors de l’entrée solennelle de François Ier à Tours le 21 août 1516. Elle témoigne de la réalisation d’un certain nombre de théâtres historiés et en particulier de la construction de lions, peut-être mécaniques, animés de mouvements, qui ont été présentés au souverain.
L’entrée de François Ier en 1516, jugée au XIXe siècle par un des premiers historiens de l’art en Touraine, Charles de Grandmaison, “comme une des plus brillantes qu’ait vue la ville”, va prendre en effet un certain relief, mais s’inscrit cependant dans une longue suite d’accueils royaux ou princiers (Charles VIII en 1484, Anne de Bretagne en 1441, Louis XII en 1498, puis de nouveau en 1500 avec Anne de Bretagne, ou encore en 1501 l’archiduc et la duchesse d’Autriche) qui ont été tout aussi remarquables, tant par les festivités qui ont été données, que par les cadeaux faits par la ville aux souverains qui s’avancent. La situation de la cité de Tours au coeur du royaume, le rôle de certains maires et échevins tourangeaux à la cour ou dans l’administration fiscale du royaume, confèrent aux cérémonies tourangelles une envergure tout à faire particulière, il en va du renon de la cité, comme sans doute aussi de la carrière et de l’honneur de certaines familles. En 1516, au moment de cette entrée, le maire de Tours est un de ces grands financiers du royaume de France, Jean Prunier, receveur général des finances du roi.
Cette entrée d’août 1516, attendue dès 1515 car annoncée à l’occasion du voyage des échevins vers le roi pour lui faire révérence après son sacre, va mobiliser le corps de ville et les artisans de la cité à partir du 14 juillet 1516. Vont être montés cinq échafauds (estrades sur lesquelles sont présentées des scènes historiées et jouées) aux carrefours des Chapeaux, à la place Foire-le-Roi, au portail de La Riche, à Saint-Julien et devant le cloître de Saint-Gatien. Si le détail de toutes ces scènes n’est pas toujours connu, les pièces financières de la ville rapportent la composition de “mysteres et sainctetes”, dont certaines sont montées par Pierre de Vallence. L’homme est connu pour être le fontenier de la ville et pour avoir contribué peu de temps auparavant à l’installation du réseau d’eau et des fontaines qui désormais alimentent les principales places et carrefours de la cité. Ainsi grâce à ces comptes particuliers, aux détours de dépenses de sangles, fil, couleurs ou journées de main d’oeuvre, apparaissent les thèmes iconographiques de ces théâtres : mystère d’Hercule, mise en scène de Betsabée, dans des compositions assez complexes puisque l’on peut compter la rétribution de dix sept personnes pour jouer sur ces différents échafauds, avec peut-être des jeux d’eau mis en place par Pierre de Vallence.
C’est sans doute pour l’une ou l’autre de ces représentations que la ville décide la confection de lions sinon mécaniques du moins animés d’un mouvement et qui semblent se déplacer. Il s’agit de constructions de cordages qui, si l’on en croit le le compte d’E. Lopin, agitent leurs queues grâce à de grandes tiges de houx tenues par plusieurs manipulateurs, rétribués d’ailleurs pour leur tâche. Ce n’est pas la première fois qu’est présenté à François Ier la figure d’un lion à l’occasion d’une entrée urbaine. Il y a même un précédent remarquable : il s’agit du lion mécanique réalisé par Léonard de Vinci, présenté au roi triomphant après Marigan pour son entrée à Milan le 11 octobre 1515. Là, selon un chroniqueur florentin (P. Parenti) “quand le roi entra dans la ville de Milan, Léonard de Vinci, le célèbre peintre, notre Florentin, imagina le divertissement suivant : il représenta un lion au-dessus de la porte, qui était couché. Il se mit sur ses pattes quand le roi entra dans la ville et, avec ses pattes, il ouvrit sa poitrine et en sortit des balles bleues pleines de lys d’or qu’il jeta et répandit sur le sol. Après cela, il sortit son cœur, appuya dessus et des lys d’or en sortirent. Le roi devant ce spectacle pris beaucoup de plaisirs”.
Sans doute les lions tourangeaux ne sont pas aussi remarquables. En l’absence de description linéaire de l’entrée, de récit d’ambassadeurs ou d’anales municipales, on ne comprend pas forcément l’impact propagandiste qu’ils ont pu avoir et encore moins la réaction royale. Ils témoignent cependant de l’ambition du corps de ville ou des metteurs en scène tourangeaux (P. Vallence sans doute) qui osent prendre un thème neuf sinon moderne, rompre avec une certaine iconographie traditionnelle, et affronter la comparaison italienne.
David Rivaud est chercheur associé au Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance (Université François Rabelais de Tours / CNRS)
En complément : Le lion mécanique de Léonard de Vinci reconstituéLe lion mécanique de Léonard de Vinci a été reconstitué dans le cadre du projet Marignan 1515-2015, soutenu par la région Centre-Val de Loire et porté par Pascal Brioist, professeur des universités et chercheur au Centre d’études supérieures de la Renaissance. Il sera présenté fin juillet lors de la reconstitution de la célébration de la bataille de Marignan de 1518 à Romorantin et à Amboise. Pour plus d’informations : http://marignan2015.univ-tours.fr/
Bibliographie
Pour aller plus loin sur les accueils solennels tourangeaux ou sur la ville de Tours au début du XVIe siècle :
- Bernard Chevalier Tours, ville royale, 1358-1520, Paris-Louvain, 1975, 634 p.
- David Rivaud, “Les entrées solennelles de la Renaissance à Tours”, Bulletin de la Société archéologique de Touraine, t. LVII (2011), p. 155-174.
- Tours 1500. Capitale des arts [catalogue de l’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012] sous la direction de Béatrice de Chancel-Bardelot, Pascale Charron, Pierre-Gilles Girault… [et al.], Paris, Somogy, 2012, 384 p.
Références
– Comptes rendus par Jehan Bernard seigneur de La Roche du Puy, ancien maire de la ville de Tours, en 1516. Archives municipales de Tours, série CC, comptes des derniers communs, pièces justificatives 1516, cahier 1. Crédits photographiques : Archives municipales de Tours / Centre d’études supérieures de la Renaissance – Intelligence des Patrimoines – Projet ARVIVA.
– Entrée solennelle de l’empereur Charles Quint, François Ier de France et du cardinal Ales-sandro Farnese à Paris en 1540, fresque murale de Taddeo Zuccari réalisée autour de 1559, villa Farnese, Caprarola, Italie. URL : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Taddeo_Zuccari_003.jpg
Crédits photographiques : The Yorck Project: 10.000 Meisterwerke der Malerei. DVD-ROM, 2002. ISBN 3936122202. Distributed by DIRECTMEDIA Publishing GmbH.
– Reconstitution des mécanismes du lion de Léonard de Vinci. Crédits photographiques : Pascal Brioist, Centre d’études supérieures de la Renaissance – Intelligence des Patrimoines.